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1. Contexte scientifique
Le changement climatique a déjà modifié de façon très marquée la composition et la structure des écosystèmes terrestres, ce qui a accéléré la perte de biodiversité et la dégradation du fonctionnement des écosystèmes dans de nombreux habitats à travers le monde (Peñuelas et al. 2013 ; Brose et Hillebrand 2016). Ces changements vont continuer d’affecter la biodiversité, le fonctionnement et les services écosystémiques tels que la capacité des écosystèmes forestiers à stocker du carbone (services de régulation) ou à fournir de la biomasse et du combustible (services d'approvisionnement) (Sala et al. 2000 ; Doblas-Miranda et al. 2015). Alors que l’impact des modifications des quantités et des régimes de précipitations (e.g. sècheresse estivale accrue) sur les écosystèmes forestiers a concentré un effort intense de recherche, de multiples composantes climatiques pourraient changer simultanément (IPCC 2021), impactant la diversité et les processus écosystémiques associés de manières complexes (Peñuelas et al. 2013).
Une prédiction plus précise de l’impact du changement climatique sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes forestiers nécessite la prise en compte des différentes composantes du changement climatique qui peuvent agir de façon simultanée (i.e. synergique) ou de façon opposée (i.e. antagoniste) (Beaumont et al. 2011 ; Liu et al. 2017). La disponibilité en eau étant un facteur limitant dans le fonctionnement des écosystèmes forestiers, l’impact de la diminution des précipitations a souvent été testé isolement sans prendre en compte l’effet simultané de l’augmentation des températures. Certaines études ont rapporté que l'augmentation de la température et la diminution des précipitations pourraient imposer des pressions de sélection similaires et additives car ces deux composantes du changement climatique diminuent l'humidité du sol (Williams et al. 2013). Les effets combinés de la température et des précipitations dépendent néanmoins fortement du contexte climatique. Par exemple, l’augmentation des températures peut accroitre l’effet négatif d’une diminution des précipitations dans un habitat déjà sec (i.e. pendant la période estivale). Toutefois, lorsque la disponibilité en eau n’est pas limitante, l’augmentation des températures peut avoir des effets positifs sur le fonctionnement des écosystèmes en stimulant l’activité biologique (i.e. pendant l’hiver et le printemps). Dans ce contexte, il apparait donc nécessaire de distinguer les influences des deux composantes du changement climatique (la diminution des précipitations et l’augmentation des températures) et leurs effets combinés sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers.
L’effort de recherche sur le changement climatique a longuement été centré sur les processus aériens des écosystèmes les plus visibles tels que leur production primaire (Hooper et al. 2005). Plus récemment, la réponse des processus souterrains des écosystèmes s’est également imposée comme un thème majeur en écologie (Wardle et al. 2004 ; Bardgett et Wardle 2010). En effet, sachant que plus de 50% du carbone assimilé par les producteurs primaires réintègre les sols via la décomposition de litières (Wardle et al. 2004), ce processus et la biodiversité du sol ont naturellement attiré l’attention de la communauté scientifique. Les décomposeurs jouent en effet un rôle déterminant dans la régulation des cycles du carbone et des nutriments (Vitousek 1984 ; Gessner et al. 2010), et la décomposition représente l’une des principales sources de rejet de carbone dans l’atmosphère (Davidson et Janssens 2006). La respiration hétérotrophe du sol associée à la décomposition de la matière organique est un déterminant majeur du bilan de carbone des forêts (Valentini et al. 2000), et est principalement contrôlée par la température et les précipitations (Davidson et al. 2006). Comme le changement climatique actuel en Europe se traduit simultanément par un réchauffement et un assèchement du sol (IPCC 2021), ces deux variations des composantes climatiques devraient avoir des effets antagonistes sur la décomposition de la matière organique. Par conséquent, il reste à prédire lequel de ces deux effets a l'impact prédominant sur la dynamique du carbone organique du sol, et également si le réchauffement et l'assèchement ont des effets additifs ou interactifs (Sierra et al. 2015).
2. Sites expérimentaux
Ce projet de thèse se focalisera sur la région méditerranéenne, où l’impact du changement climatique en cours est déjà observable sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers (Allen et al. 2010 ; Sardans and Peñuelas 2013). Le projet se concentrera sur deux écosystèmes forestiers d’importance majeure en zone méditerranéenne, à savoir les forêts de chêne pubescent (Quercus pubescens) et de chêne vert (Quercus ilex) qui représentent plus de 4 millions d’hectares à l’échelle du bassin méditerranéen dont 750 000 ha en France.
Le projet de thèse s’appuiera sur deux plateformes instrumentalisées et expérimentales in situ du réseau national AnaEE-France, ayant pour objectif d’étudier la dynamique, le fonctionnement et la biodiversité des deux écosystèmes forestiers méditerranéens soumis au changement climatique : le site expérimental de Puéchabon (forêt de Quercus ilex) et le site expérimental de l’O3HP (forêt de Quercus pubescens). Ces installations de recherche expérimentale ont déjà permis d’éclairer de nombreux changements dans le fonctionnement des écosystèmes forestiers soumis à un stress hydrique aggravé sur le fonctionnement des arbres (e.g. évapotranspiration, production de biomasse, fixation de CO2, Limousin et al. 2009 ; Gavinet et al. 2019 ; Laoué et al. 2024) ou le processus de décomposition des litières (e.g. Santonja et al. 2015, 2017). L’utilisation simultanée de ces deux plateformes permettra 1) d’étudier et de comparer des forêts de chênes sempervirents et de chênes décidus, et 2) d’accéder à des connaissances sur l’impact pluriannuel des augmentations récurrentes de la durée et de l’intensité des épisodes de sécheresse estivale sur le compartiment sol.
Ces deux plateformes ont été complétées en avril 2025 par de nouveaux dispositifs expérimentaux permettant de simuler un réchauffement des sols et une diminution des précipitations, développés conceptuellement dans le cadre du projet MEDSOCLIM (AnaEE-France, 2021-2024) et installés sur site dans le cadre du projet Drought ForC (PEPR FairCarbon, 2023-2028). Le dispositif expérimental comprend 4 traitements expérimentaux (témoin, exclusion de pluie, réchauffement des sols, exclusion de pluie + réchauffement des sols) répliquées trois fois (i.e. 3 blocs de répétition) pour un total de 12 parcelles sur chacune des deux plateformes expérimentales. Il est conçu pour être installé dans le sous-bois forestier et pour manipuler la température du sol sur les 10 premiers centimètres ainsi que les précipitations. Ce dispositif permettra ainsi d’étudier les effets combinés et isolés de l’augmentation des températures du sol et de la diminution des précipitations sur le fonctionnement des sols dans deux forets typiques méditerranéennes.
3. Objectifs du projet de thèse
En utilisant une approche intégrative et mécaniste combinant des expérimentations in natura et en conditions contrôlées, ce projet de thèse a pour objectif d’évaluer les impacts du changement climatique en région méditerranéenne sur la biodiversité du sol et la dynamique du C associée dans les sols forestiers méditerranéennes. Plus précisément, les principaux objectifs seront d'étudier les 1) la décomposition de la litière, les émissions de CO2 et de COVB liées à l’activité biologique, et 2) la séquestration du carbone du sol en réponse aux effets isolés et interactifs de la sécheresse et du réchauffement dans les nouveaux dispositifs expérimentaux.
Le projet de thèse s’organisera autour de 3 axes complémentaires :
▪ Axe 1 : Découplage in situ des effets des deux composantes du changement climatique sur le processus de décomposition des litières.
Une expérience de décomposition de la litière sera réalisée en utilisant la méthode du litterbag (Swift 1979) dans le but d'étudier la décomposition de la matière organique et la remise à disposition des nutriments (N, P, K, Ca, Mg, Na, S) en réponse aux modifications des conditions climatiques. Les modèles biogéochimiques se concentrent principalement sur le rôle des microorganismes en ignorant l'importance clé de la faune du sol (Abramoff et al. 2017). Comme les populations et les activités microbiennes dépendent en grande partie de la faune du sol, toute modification de la structure du réseau trophique du sol aura des conséquences importantes sur l'efficacité du processus de décomposition et sur la dynamique du carbone et des nutriments (Milton et Kaspari 2007). Nous nous intéresserons donc à la contribution relative des microorganismes et de la faune du sol au processus de décomposition de la litière. En utilisant des pièges à litière (littertraps), les feuilles des deux espèces de chêne en cours d’abscission seront collectées au pic de chute de litière annuelle. La décomposition de la litière de feuilles sera étudiée sur 2 ans (deux échantillonnages par an, c'est-à-dire avant et après la période de sécheresse estivale) avec 10 grammes de litière initialement placés dans chaque litterbag (20 cm x 20 cm). Différentes mailles seront utilisées afin d'étudier l'impact des traitements expérimentaux sur les différents organismes du sol contribuant au processus de décomposition. Des sachets à grosse maille (5 mm) permettront l'accès aux microorganismes, à la microfaune, à la mésofaune et à la macrofaune, les sachets à maille moyenne (1 mm) excluront la macrofaune, tandis que les sachets à maille fine (125 μm) excluront la mésofaune et la macrofaune.
▪ Axe 2 : Découplage in situ des effets des deux composantes du changement climatique sur les émissions de CO2 et de COVB, et sur la séquestration du carbone
La respiration du sol sera mesurée à l'aide d'une combinaison de chambres à sol manuelles et automatiques afin d'assurer une bonne couverture spatiale et temporelle des mesures dans les deux sites d'étude. Les mesures manuelles seront effectuées à l'aide d'un analyseur de gaz CO2 portable EGM-5. Des mesures automatiques utilisant des systèmes Licor-8100 seront effectuées à une fréquence élevée (plusieurs fois par jour) afin de suivre les changements dynamiques de la respiration du sol en réponse aux fluctuations diurnes de la température. Les mesures simultanées de la respiration du sol à l'aide de chambres manuelles et automatiques permettront un inter-étalonnage entre les systèmes et les sites. Les flux de CO2 respiré seront ensuite analysés en fonction de la température et de la teneur en eau du sol. Un modèle de respiration du sol (Misson et al. 2010) sera ensuite ajusté aux données expérimentales afin de distinguer les influences relatives de l'humidité et de la température du sol entre les saisons et les traitements expérimentaux.
Les émissions de COVB du sol seront collectées dans les différentes parcelles expérimentales des deux sites forestiers au cours de 2 campagnes de terrain pendant l’été 2026 (1 campagne par site) afin de quantifier leur part dans le bilan de C de l'écosystème et d'évaluer l'impact de la sécheresse et du réchauffement sur leurs taux d'émission. Les mesures de BVOC seront effectuées en temps réel à l’aide de chambres posées au sol et reliés à un PTR-Tof-MS. Ces mesures seront effectuées en collaboration avec le Laboratoire Chimie Environnement (LCE) et l’utilisation de la plateforme mobile MASSALYA dédiée à l’analyse en continu des COV.
Une quantification des contenus en C des horizons organiques, organo-minéraux et minéraux du sol afin d’estimer les stocks de C du sol a été effectuée sur les différentes parcelles expérimentales en avril 2025. Comme la teneur en C de l'horizon organique du sol peut réagir plus rapidement à des conditions climatiques modifiées (Santonja et al. 2022), trois échantillonnages de cet horizon seront effectués au cours de la thèse.
▪ Axe 3 : Découplage in vitro des effets des deux composantes du changement climatique sur le réseau trophique du sol et les effets en cascade sur la dynamique du carbone
Dans ce dernier axe une expérimentation en conditions contrôlées en chambre climatique sera développée pour tester les effets de 4 traitements climatiques (température et humidité optimales vs stress thermique et hydrique, vs température optimale et stress hydrique, vs stress thermique et humidité optimale) sur la biomasse et l’activité des espèces d’une communauté modèle composée de 4 niveaux trophiques (producteur primaire = litière de feuilles, consommateur = microorganismes, consommateur secondaire = collembole fongivore, prédateur = acarien gamaside, super prédateur = myriapode). Cette expérience permettra d’avoir une approche plus mécaniste des interactions au sein du réseau trophique du sol et de l’impact des stress liés au changement climatique sur la contribution de ce réseau trophique aux flux de carbone dans le sol.